Philippe Méon, président de l'association Énergies & Avenir, trouve regrettable que le gouvernement ne protège pas la mixité énergétique dans les logements au profit de l'effet Joule.

" La boucle à eau chaude est une solution d'avenir "

Quel regard portez-vous sur le nouveau visage énergétique que prend le Bâtiment en France ?

Nous trouvons regrettable que le gouvernement décide d'enlever certaines technologies pour favoriser l'électrique. Le mix énergétique doit être cultivé, entre le gaz, le fioul, les réseaux de chaleur, la pompe à chaleur, le bois-énergie. La boucle à eau chaude reste une solution d'avenir. En fonction de ce que vous installez en amont, le système peut continuer d'être vertueux. Regardez une quinzaine d'années en arrière, quasiment personne ne parlait des pompes à chaleur, du biogaz ou de l'hydrogène. Désormais, ces technologies et énergies deviennent concrètes. L'avantage de la boucle à eau chaude est qu'elle peut évoluer avec le temps. Aujourd'hui, elle fonctionne notamment avec des chaudières gaz qui demain seront alimentées au biogaz et après-demain, pourquoi pas à l'hydrogène !

Les prochains seuils applicables dans le résidentiel neuf collectif et tertiaire seront pourtant défavorables au chauffage au gaz. Comment percevez-vous cette évolution ?

Le gaz aura effectivement plus de mal à rentrer dans les bâtiments neufs, mais nous pouvons espérer une émergence forte des réseaux de chaleur et des pompes à chaleur collectives, avec, toujours, des boucles à eau chaude pour alimenter les bâtiments. Nous sommes pour un mix énergétique et un mix technologique. Ce n'est pas sain de mettre tous ses œufs dans le même panier. C'est pourquoi nous défendons également l'hybridation des systèmes, avec du solaire thermique notamment mais également à travers les pompes à chaleur hybrides gaz et fioul. La PAC hybride permet à certaines périodes de l'année, notamment en milieu de saison hivernale, quand la pointe électrique est crainte, de basculer d'une énergie à l'autre, toujours en adéquation avec l'énergie la moins chère, pour ne pas pénaliser l'occupant. Dans tous les cas, construire un logement avec uniquement des radiateurs électriques, c'est devenir prisonnier de l'effet Joule.

" Installer des radiateurs électriques, c'est devenir prisonnier de l'effet Joule "

L'arrêté BBC Rénovation est en cours de révision, avec, entre autres, la suppression de l'installation d'une chaudière gaz THPE pour atteindre le BBC. Qu'en pensez-vous ?

Encore une fois, c'est regrettable. La dernière étude que nous avons demandé au bureau Tribu Énergie de réaliser sur l'impact des biocombustibles prouve que l'ajout de biogaz dans une chaudière gaz THPE permet d'atteindre ce niveau BBC. Certes, le pourcentage de biogaz varie en fonction des régions. Il n'empêche que cela reste possible ! De même, si vous remplacez un million de chaudières gaz par des THPE, cela revient à supprimer l'émission de 400 000 chaudières. C'est colossal, et pourtant le gouvernement semble ne pas en tenir compte pour décarboner le chauffage. Ajoutez à cela également les problèmes techniques, tels que l'absence d'un local technique si vous remplacez les chaudières gaz murales par une PAC collective. Il n’est pas non plus possible de créer un réseau de distribution de chauffage et d’eau chaude sanitaire collectif car il n’existe pas de gaine technique sur les paliers.

Souvent, les chaudières permettent de produire l'ECS en instantané. En remplaçant cette technologie par une autre, où trouverez-vous la place pour installer un ballon ? De même, si la chaudière murale est remplacée par une solution individuelle comme une PAC, où placez-vous l'unité extérieure ? Et s'il s'agit d'une solution monobloc sur air extrait, il faudra avoir l'autorisation d'implanter une ventouse en façade, ce qui n'est clairement pas gagné dans tous les logements collectifs. Encore une fois, c'est dommage de se priver d'une technologie alors que personne ne sait de quoi demain est fait.

En logement collectif notamment, si les pompes à chaleur peuvent être de bonnes solutions, force est de constater que les professionnels se heurtent régulièrement à des contraintes techniques qui ne sont jusqu’à présent pas prises en compte par les pouvoirs publics. Ils misent sur ces équipements au détriment des chaudières à très haute performance énergétique qui pourtant peuvent atteindre de hauts niveaux de performance et continuer à se décarboner grâce aux biocombustibles qui se développent de plus en plus. Se priver des chaudières, c’est se priver d’une solution pour massifier les rénovations !

Êtes-vous pour ou contre la rénovation globale ?

On ne peut pas être contre, c'est évident. Néanmoins, très peu de rénovations globales ont été réalisées jusqu'à maintenant. Le reste à charge, même s'il existe des aides, est encore très élevé. Et puis, il y a ce paramètre non négligeable du logement qui devient inhabitable pendant les travaux. Pour un propriétaire occupant, cela devient trop compliqué ! Le risque est de voir des particuliers refuser de rénover leur logement par peur des difficultés qu'ils pourraient rencontrer. Au-delà d'opposer rénovation globale et rénovation par étapes, je pense qu'il faut trouver le meilleur des deux mondes, s'appuyer sur le DPE et Mon Accompagnateur Rénov' pour obtenir les préconisations de travaux les plus perspicaces afin de faire baisser la consommation énergétique du bâtiment. Peut-être qu'imaginer une prime une fois les premiers gestes réalisés pourrait encourager à passer à l'étape d'après.

Nous soutenons l'idée d'instaurer un parcours de rénovation qui permet d'allier rénovation par étapes et rénovation globale en planifiant les travaux dans le temps, les gestes suivant les précédents étant récompensés par l’octroi de bonus jusqu’à atteindre des rénovations performantes. Ces parcours seraient encadrés. Seuls les gestes permettant une baisse de la consommation d’énergie primaire, et donc des émissions de CO2, pourraient être encouragés.

Pensez-vous que la boucle à eau chaude peut encore couler des jours heureux ?

Évidemment ! Et elle le doit. L’orientation actuellement prise par les pouvoirs publics pour restreindre le panel des équipements du parc du chauffage est incompréhensible. Ce n'est pas qu'une question technique dans les bâtiments, mais c'est toute une industrie qui pourrait être mise à mal. Une industrie française et européenne qui ne cesse de se réinventer. L'avenir est la solution.

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