Le nouvel article CH35 du règlement de sécurité contre l’incendie relatif aux établissements recevant du public (ERP) pourrait impacter lourdement le marché. Vice-président de l’AFCE et d’Uniclima, le directeur RSE de Daikin Frédéric Pignard juge ce texte "anti système direct au R32" et "pro système indirect". Explications.

Le règlement de sécurité contre l’incendie relatif aux établissements recevant du public (ERP), par son article CH35, restreint ou interdit l’usage des fluides inflammables dans les pompes à chaleur et la climatisation. C’est pourquoi le R32, fluide au potentiel de réchauffement climatique (GWP) trois fois inférieur au R410A mais légèrement inflammable, et tous les autres fluides inflammables, ne peuvent à ce jour être utilisé dans les ERP de classe 1 à 4. Des discussions entre le ministère de l’Intérieur, de l’Ecologie et les industriels,  en vue de la rédaction d’une nouvelle version de l’article, ont donc été entamées en début d’année. Après plusieurs mois de débat, aucun consensus de fond n’ayant été trouvé, le cabinet du Premier ministre a tranché. A la fois vice-président de l’AFCE, dont il était le représentant, et vice-président d’Uniclima, Frédéric Pignard, Directeur RSE de DAIKIN était présent à la table des négociations. Il nous dit tout sur cette nouvelle mouture qui pourrait bien impacter lourdement le marché. Dans quelle atmosphère se sont déroulés les débats ?La Direction générale de la prévention des risques (DGPR), bras armé du ministère de l’Ecologie, a défendu le contenu de l’étude de l’Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) publiée fin 2017, étude basée sur un principe déterministe. La filière a bien senti chez la DGPR une volonté de ne pas aller vers les fluides HFC moins polluants classés légèrement inflammables (A2L) comme le R32.La DGSCGC, (Ministère de l’Intérieur) nous a écoutés attentivement tout au long des débats, et a eu une excellente attitude. Ce sont eux qui nous ont représentés de façon honnête et rigoureuse lors du dernier round des négociations, à une réunion interministérielle.  En effet, n’ayant pas réussi à trouver un accord sur des points cruciaux , un arbitrage a été demandé au cabinet du Premier ministre. Et ce dernier a plutôt tranché en faveur de la DGPR. Que faut-il retenir de cette nouvelle mouture du CH35 ?La nouvelle réglementation incendie va introduire des distances de sécurité autour des raccords démontables des unités. Il s’agira d’une disposition unique en Europe. Nous étions prêts à l’accepter mais à condition qu’une distinction soit faite entre fluide légèrement inflammable (A2L) et inflammable (A2). Or ce n’est pas le cas. Que représentent concrètement ces distances de sécurité ?Il s’agit d’une sphère virtuelle autour du raccord de l’unité intérieure où il ne faudra trouver aucune source capable d’allumer un nuage potentiellement inflammable . Et son rayon sera fonction du diamètre de la tuyauterie liquide. Pour un fluide A2L ou A2, ce rayon ira de 1 à 4m. Pour un fluide hautement inflammable et explosif  (A3), il ira de 2m à 10m. Concrètement cela donnera sur le terrain des contraintes qui peuvent apparaître inappropriées. Alors qu’une cuve accueillant 3 500 Kg de propane - fluide classé A3 - ne devra avoir autour d’elle qu’un périmètre de sécurité de 3m, un rayon de 1m devra être laissé autour de l’unité intérieure d’un petit split chargé avec 2kg de R32 (fluide classé A2L). Cela peut pour le moins apparaître disproportionné. Il nous semblait important d’établir ses distances en fonction de la limite inférieure d’inflammabilité de chaque fluide, et la profession est très déçue que les fluides A2L qui ne génèrent pas de feu torche et ne sont pas explosifs ne soient pas traités différemment des fluides A2.   Le texte impose-t-il d’autres contraintes ?Dans les normes existantes, (EN378 et IEC60335-2-40) il est possible de dépasser les charges en fluide autorisées grâce à la mise en place de mesures de sécurité additionnelles.  Il est ainsi possible d’augmenter la charge pour des petits locaux en ajoutant deux mesures de sécurité parmi un bouquet de solutions.  Nous souhaitions reprendre cette exigence dans le CH35, mais le choix a été fait d’imposer une triple contrainte figée : détection fuite + ventilation de sécurité + électro vannes.   Qu’est-ce que cela pourrait impliquer sur le terrain ?S’il sera possible de multiplier les splits au R32 dans les immeubles tertiaires, choix peu esthétique et économiquement hasardeux, le DRV au R32 sera, lui, écarté pour les petits locaux, avant d’être commercialisé en France. Car au-delà de 4-5 kg de fluide légèrement inflammable, l’obligation de mettre en place une détection de fuite, une ventilation de sécurité et des électrovannes sera trop lourde techniquement et financièrement. Le maître d’ouvrage se détournera donc de cette solution pourtant plus écologique pour rester avec un équipement au R410A…Ce nouveau texte va donc clairement favoriser deux solutions techniques : le système centralisé avec un groupe d’eau glacée estimée par la profession à 40% plus chère, ou une solution existante détente directe DRV au R410A, tant que ce fluide sera disponible sur le marché.Cela peut clairement modifier des tendances de marché. L’hôtellerie et le tertiaire qui s’étaient détournés des systèmes centralisés pour aller vers les DRV va sans doute devoir faire machine arrière et payer plus cher des installations moins performantes….   Y-a-t-il d’autres points qui vous posent problème ?Il y avait deux points qui étaient restés en suspens et qui devaient encore être tranchés - la classification de l’inflammabilité des isolations des équipements intérieurs. Si le choix était fait d’imposer une classe M0 pour les unités intérieures avec des fluides inflammables , niveau d’exigence qui n’a pas de sens sur une unité intérieure souvent en plastique, cela fermerait la porte des ERP à toutes les solutions détente directe dont celles déjà existantes au R32. Mais sur ce point la raison l’a emportée sur la passion puisque nous venons d’avoir la confirmation par la DGSCGC que l’isolant retenu serait M1- L’autre point tout aussi crucial porte sur la qualité de la source d’ignition, doit-elle être considérée comme permanente ou ponctuelle ? Jusqu’à la consultation du 31 juillet dernier le consensus était sur une source permanente. Entre temps il a été demandé qu’elle devienne également ponctuelle. Finalement la réponse via la DGPR communiquée le 12 septembre dernier dit que le texte ne précise plus le mot permanent. Cette disposition de dernière minute va encore mettre une contrainte supplémentaire à tous les systèmes directs en ERP utilisant des fluides inflammables, et donne la part belle aux systèmes indirects.Jugez-vous ce texte anti-R32 ?A l’aulne des dernières décisions, oui ce texte est visiblement anti système direct qui utilise le R32, seule technologie performante et disponible à ce jour, et favorise la technologie système indirect. Autre point remarquable de ce texte, c’est le calcul de la charge autorisée ; il est lié au volume de la pièce et à la hauteur de la supposée fuite. Il serait donc possible de mettre dans un local commercial de 500 m² dont l’équipement serait installé à 5m de hauteur un système à détente directe chargé de 55 kg de propane ou jusqu’à  375 kg de R32 sans mesure de sécurité supplémentaire, alors que la norme EN378 en exige pour aller au maximum jusqu’à 5kg pour le propane et 60 kg pour le R32. C’est toute l’étrangeté du texte qui se révèle finalement très strict vis-à-vis des A2L dont le R32 pour les petits locaux et permissif à la fois pour les fluides hydrocarbures.Entrera-t-elle prochainement en application ?Le texte a été soumis à une rapide consultation, mais seulement pour relecture, puis il sera porté à l’Europe et dans différentes commissions françaises comme la CSC2E, pour une parution attendue pour décembre.Que comptez-vous faire ?Le texte actuel n’est pas du tout le reflet des résultats du GT Expert mis en place par la DGSCGC. La filière n’a été que très peu entendue, malgré ses apports techniques indiscutables pour assoir ses demandes légitimes. Elle va sans aucun doute mener des actions pour modifier le texte afin que toutes les solutions technologiques soient traitées de façon équitable. A ce jour dans le périmètre du CH35, Climatisation chauffage et ECS, les seules solutions connues sont les A2L avec le R32 pour les systèmes détente directe et les HFO pour les systèmes indirects. Nous comptons mettre en avant le fait que ce texte , en interdisant économiquement de facto certaines solutions techniques, va gêner la libre circulation de ces équipements et nous allons souligner qu’en limitant l’usage des fluides A2L dont le R32, fluide au potentiel de réchauffement climatique (GWP) très inférieur au R410A, il va à l’encontre des objectifs de la réglementation européenne F-Gaz et du mandat M555. Il ne faut pas négliger le poids de l’Europe…