
Qui aurait pu prédire l’effondrement de MaPrimeRénov’ ?
Ceux, peut-être, qui dès la naissance du dispositif s’inquiétaient des faiblesses du mécanisme de mandataire financier. Permettre aux entreprises de percevoir les aides à la place du particulier, n’ouvrait-il pas la voie à des fraudeurs en tout genre ? Objection rejetée, le Gouvernement de l’époque est passé en force.
Ceux, peut-être, qui, dès la fin 2022, s’alarmaient des délais de paiement excessivement longs de l’Anah, mettant en danger (déjà) des milliers d’entreprises qui s’étaient engagées dans le dispositif. Objection rejetée, tout était alors sous contrôle, même si un petit regain de fraude expliquait les retards de l’Anah.
Ceux, peut-être, qui début 2023, faisaient éclater la question des fraudes au grand jour. Enquête journalistique, commission d’enquête parlementaire au Sénat… : les mécaniques et l’ampleur de la fraude étaient mises au grand jour. Objection rejetée. « Vous ne parlez que de 3 % des dossiers, les 97 % restants sont parfaits », nous rétorquaient alors les conseillers ministériels, avec l’aplomb qui caractérise la fonction.
Ceux, peut-être, qui doutaient de la capacité de l’Anah à piloter efficacement le financement de la rénovation d’ampleur, et s’alarmaient de l’usine à gaz en cours de création. Objection rejetée, avec un nouveau passage en force, avant un repli en rase campagne en mai 2024, face à l’effondrement de la demande.
Ceux, peut-être, qui alertent à nouveau sur des délais de paiement anormalement longs, dans un contexte économique très tendu, et alors que la lutte contre la fraude a beaucoup progressé. Objection rejetée, la situation était totalement sous contrôle, et toute la faute pesait sur ces fraudeurs qualifiés d’imaginaires deux ans auparavant, mais désormais si utiles pour masquer les carences de l’administration.
Ceux, enfin, qui dès avril suspectaient de grandes manœuvres autour de MaPrimeRénov’ : resserrement local des critères, dépassement des services de l’Anah, enveloppe budgétaire notoirement insuffisante, incapacité de l’Anah à valoriser les CEE, perte de l’accréditation Cofrac pour une partie des contrôles de Bureau Veritas, prestataire de l’Anah. Objection rejetée, ces problèmes n’existent pas.
On connaît la suite : en un article du Parisien et deux interventions d’Eric Lombard au Sénat, MaPrimeRénov’ est gelée. Et le Gouvernement d’employer à nouveau le mot de « concertation » pour sortir de l’impasse. A trop avoir joué en solo ces dernières années, pas sûr qu’il puisse maintenant compter sur l’orchestre des acteurs de la rénovation énergétique pour dissimuler le fait qu’il ne maîtrise aucune mesure de sa partition.