Eclipsé par le photovoltaïque, le solaire thermique est pourtant bien vivant. David Marchal, directeur exécutif des programmes de l’Ademe, et Richard Loyen, délégué général d’Enerplan, débattent des enjeux, notamment au regard des ambitions de la programmation pluriannuelle de l’énergie.

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Comment le solaire thermique est-il pris en compte dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ?

David Marchal : La PPE est en phase de consultation. Le solaire thermique y occupe une place forte, puisqu’on passerait de 1,2 TWh à 6 TWh en 2030. La croissance est donc importante, mais il faut tout de même relativiser. Dans le bouquet général de la PPE, le solaire thermique est indispensable, mais demeure une petite énergie. Par exemple, les objectifs globaux de chaleur renouvelable sont d’environ 300 TWh dans cette dans cette PPE, en englobant toutes les énergies renouvelables. Le solaire thermique occupe donc une part plus faible que celle des autres énergies thermiques, notamment la biomasse, la géothermie, les pompes à chaleur.

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Sur quels leviers faut-il jouer pour passer de 1,2 à 6 TWh ?

Richard Loyen : On travaille avec les acteurs de la filière, avec l’Ademe, avec le ministère et l’ensemble des parties prenantes sur les leviers d’action pour la croissance. En premier lieu, il faut transformer l’image et la perception de notre filière. On est capable de produire de la chaleur solaire de 40 à 400 °C, de la stocker de façon journalière, et il faut faire tomber les idées reçues éculées selon lesquelles le solaire thermique, c’est cher et ça ne marche pas. La filière du génie climatique doit prendre conscience des progrès réalisés depuis quinze ans et des innovations qui arrivent sur le marché : stockage saisonnier, production de froid… Les décideurs doivent avoir en tête que la chaleur solaire est compétitive vis-à-vis du gaz, notamment avec l’aide du fonds chaleur de l’Ademe qui vient lisser les investissements, et qu’elle se combine très bien avec les autres sources de chaleur renouvelable. On se chamaille beaucoup sur la question des ENR électriques versus le nucléaire, mais 45 % de notre besoin d’énergie, c’est un besoin de chaleur, aujourd’hui essentiellement couvert par du fossile !

Les installations de grande puissance constituent-elles un gisement important ?

D.M. : Historiquement, le soutien s’est principalement porté sur le petit solaire thermique, notamment pour la production d’eau chaude sanitaire, dans l’individuel comme dans le collectif. La filière solaire thermique a cependant traversé des périodes plus difficiles, en partie à cause d’une concurrence — parfois injustifiée — avec d’autres technologies, comme les chauffe-eau thermodynamiques ou le photovoltaïque en toiture. Il y a aussi une forme de concurrence financière : lorsqu’un particulier investit plusieurs milliers d’euros dans une installation photovoltaïque, il n’ajoute pas forcément du solaire thermique.

C’est pourquoi, il y a quelques années, nous avons décidé de concentrer nos efforts sur les grandes installations. L’objectif était double : générer du volume et renforcer la fiabilité de cette filière, qui souffrait d’une mauvaise réputation liée à quelques références peu convaincantes. Un travail important a donc été mené pour redynamiser le secteur et corriger ces problèmes. À travers le développement de grandes installations, nous avons voulu relancer la dynamique.

Cela va faire monter en compétences l’ensemble des acteurs de la filière, tout en améliorant son image auprès de nouveaux publics. Le secteur industriel, en particulier, est très intéressant. Dans le nord de l’Europe, de nombreuses réalisations ont déjà vu le jour, notamment en lien avec des réseaux de chaleur. En France, l’ appel à projets Grandes installations solaires thermiques finance depuis plusieurs années des installations solaires de grande envergure. Toutefois, les volumes atteints restent encore loin des objectifs fixés par la PPE, qui prévoit plus d’un million de mètres carrés installés par an sur ce segment, contre quelques dizaines de milliers de mètres carrés actuellement.

R.L. : Les grandes puissances représentent à peu près la moitié de l’objectif visé à 2035. Les calories solaires sont durablement compétitives, totalement décarbonées et produites localement avec des contrats de vente de chaleur solaire. Ce n’est pas l’industriel qui investit, il signe un contrat avec un acteur qui s’engage pour les 20 ou 30 prochaines années, avec un prix du MWh inférieur à celui du gaz, avec des projets relativement rapides. Une centrale solaire compétitive nécessite deux ans pour être développée. Et il faut avoir en tête un rapport de 1500 m² de capteurs solaires thermiques par mégawatt installé. C’est trois fois moins que pour du photovoltaïque.

Une étude récente du Fraunhofer Institut a simulé 6000 cas d’usage du solaire thermique pour l’industrie allemande. Elle montre que la chaleur solaire renforce la compétitivité de l’industrie allemande, avec des charges maîtrisées.

D.M. : Les besoins de chaleur de l’industrie sont importants, à différents niveaux de température. 30 % d’entre eux sont inférieurs à 100 °C, le solaire thermique y a donc toute sa place !

Où en est le stockage de la chaleur ?

R.L. : La chaleur solaire est livrée avec un ballon, qui est déjà une forme de stockage, pour deux ou trois jours. Le stockage saisonnier se développe, notamment dans le cadre de l’initiative Socol, qui comporte un groupe de travail sur le sujet. Plusieurs techniques permettent de faire du stockage, de la recharge active de sondes géothermiques à moins de 40 °C à du stockage en fosse à plus haute température. L’enjeu, c’est profiter de l’abondance solaire estivale pour en disposer tout le reste de l’année. La donne sera vraiment changée quand on pourra utiliser à la Toussaint la calorie solaire du mois d’août. Ces solutions techniques low tech, sans métaux rares, se développent dans le Nord de l’Europe. Il n’y a pas de raison pour qu’elles n’arrivent pas en France.

D.M. : Le stockage saisonnier reste difficile à financer, car l’investissement reste difficile à rentabiliser. L’intérêt du géostockage, c’est de profiter d’un investissement existant, en couplant installation de géothermie et installation solaire. Nous avons financé près de Bordeaux une installation qui chauffe quelques dizaines de maisons, avec du solaire thermique et du stockage géothermique.

L’hybridation par le solaire thermique doit-elle être accentuée ?

R.L. : Il y a une forte complémentarité des solutions de chaleur renouvelable. L’Ademe, avec EnR’Choix, met en avant les bonnes solutions renouvelables locales. On peut le faire avec la géothermie de minime importance, mais aussi avec de la biomasse, pour éviter de faire fonctionner la chaudière à faible rendement de mai à octobre pour produire de l’ECS. Le PVT ouvre également des perspectives avec les pompes à chaleur. Le soleil brille pour tous et partout en France !

Il faut aussi rappeler que le besoin de froid va être croissant. Des machines de froid solaire, à absorption, se développent. La climatisation réversible aggrave le problème en créant des îlots de chaleur, quand le rafraîchissement solaire, lui, ne réchauffe pas le voisinage.

D.M. : Nous travaillons activement sur l’hybridation des ressources en énergies renouvelables, et plus particulièrement sur la chaleur renouvelable, à la fois à l’échelle des territoires et à celle des réseaux de chaleur. Ces derniers sont très rarement alimentés par une seule source d’énergie. Lorsqu’on développe aujourd’hui des chaufferies bois ou des installations de géothermie, il y a toujours des besoins d’appoint, ce qui implique un véritable mix énergétique. Dans ce contexte, le solaire thermique a toute sa place.

La méthode EnR’Choix permet aux porteurs de projets de se poser les bonnes questions pour utiliser les meilleures énergies dans le bon ordre. Cela commence par la réduction des besoins (l’énergie que l’on ne consomme pas), puis la récupération de chaleur fatale (par exemple, issue d’une usine voisine), ensuite le solaire thermique, suivi de la géothermie, et enfin la biomasse, qui arrive en dernier recours en raison de la limitation de cette ressource. Cette hiérarchisation s’est imposée naturellement en Île-de-France, où le potentiel géothermique est important. Aujourd’hui, la contrainte sur la biomasse est de plus en plus marquée dans de nombreux territoires, et il faut trouver des alternatives, notamment en géothermie et en solaire thermique.

Les panneaux hybrides photovoltaïques et solaires thermiques sont-ils également appelés à se développer ?

R.L. : Oui, c’est d’ailleurs une dynamique pan-européenne. Le photovoltaïque et le thermique peuvent sembler concurrents, mais les capteurs hybrides PVT combinent les deux : la face avant produit de l’électricité, tandis que la face arrière valorise la chaleur solaire fatale. Ce système s’intègre très bien avec une pompe à chaleur eau-eau, mais sans forages, ou avec un nombre réduit de forages.

Des réflexions sont aussi en cours sur l’intégration de chaudières électriques dans les systèmes de chauffage saisonnier, qui pourraient fonctionner de manière opportuniste lorsque les prix de l’électricité sont nuls, voire négatifs. Dans ces cas-là, on est même rémunéré pour injecter des calories dans le stockage. Cette hybridation entre le marché de l’électricité et le stockage saisonnier ouvre une nouvelle voie que les professionnels commencent à explorer activement.

D.M. : L’Ademe soutient l’hybridation, mais subsiste une question de business model, car elle entraîne des surcoûts, qui diminueront par les volumes. Les coûts de fonctionnement sont souvent très faibles, mais l’investissement est important, et cela constitue une barrière pour les ménages, mais aussi pour d’autres acteurs économiques, qui peinent à se projeter en coûts complets et ont besoin d’une solution de tiers financement pour se lancer.

Le photovoltaïque est un facteur de déficit commercial pour la France, avec des importations chinoises massives. Quid du solaire thermique ?

R.L. : L’industrie française et européenne est exportatrice nette de panneaux solaires thermiques. Mais cette industrie n’est pas reconnue par les pouvoirs publics dans le cadre du crédit d’impôt pour les investissements dans l’industrie verte. Il faudra tout de même que des critères de souveraineté européenne soient retenus au niveau du Fonds Chaleur, pour qu’une préférence européenne nous protège si le marché grandit et que les appétits s’aiguisent.

D.M. : Le solaire thermique n’avait effectivement pas été jugé éligible au C3iV, mais dans le cadre de systèmes hybrides, les PAC et le photovoltaïque le sont. Ce crédit d’impôt pourra d’ailleurs évoluer !

Notre étude annuelle sur les marchés et les emplois de la transition montre qu’en effet le solaire thermique est porteur d’emplois. Les critères du Fonds Chaleur vont d’ailleurs sans doute évoluer, même si les acteurs nous demandent de la stabilité.

Au-delà de ce crédit d'impôt, qu'attendez-vous des pouvoirs publics ?

R.L. : Nous attendons de la visibilité et du soutien à hauteur des ambitions de la PPE. On ne passera pas à 6 TWh sans un Fonds Chaleur suffisamment doté pour financer des moyennes et des grandes installations. L'Etat doit aussi endosser le plan d'action pour le solaire thermique, à l'instar de ce qui a été fait pour la géothermie, avec une déclinaison dans les régions de cette impulsion nationale via les plans de chaleur territoriaux. Enfin, il faut agir en matière d'urbanisme. Le solaire thermique au sol ne devrait plus être considéré comme artificialisant, le photovoltaïque ne l'est déjà plus ! Il faut aussi faciliter les installations domestiques, en étudiant une exonération d'autorisation pour les plus petites surfaces.

Peut-on parler d'un changement de regard sur le solaire thermique ?

D.M. : On parle un peu trop souvent d'électricité seulement quand on parle énergies renouvelables. Le projet de PPE, nourri par le travail du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), a bien mis en avant la chaleur renouvelable. Le plan d'action solaire thermique initié avec la filière est poussé auprès de l'Etat, et est porteur d'espoir pour toute la filière.

Des machines de froid solaire, à absorption, se développent.

Richard Loyen, Enerplan

Les grandes installations génèrent du volume et renforcent la fiabilité de cette filière.

David Marchal, Ademe